Ô Rance, dont je suis le fils incontesté,
Je veux être à la fois ton modeste poète.
Ma sœur, la sympathique et savante alouette
Peut te chanter le jour avec autorité.
Sorti des profondeurs de toute obscurité
La nuit me suffira. Mon corps est silhouette [1]
Rance des prés herbeux , des grèves , des vallées ,
Libre , canalisée , ou maritime encor ,
Rance , de la Nature à l’idéal décor ,
Aux rives de chaos savamment profilées ,
Rance des bateliers , des penseurs, des artistes ,
Rance des villageois , des amants , des oiseaux ,
Rance des goëmons , des herbiers , des roseaux ,
Des pêcheurs , des chasseurs et des zoologistes ,
Tu sembles tour à tour au passant de la nue,
Ruban, petit sentier, agréable chemin,
Voie antique du temps de quelque dieu romain,
Allée ultra moderne et splendide avenue ;
Parvis, où ton flot gris se fond dans la mer verte,
Où la mer se confond avec le même ciel.
Parvis d’un Paradis qui semble artificiel,
Où ton allégorie est à la porte ouverte.
La Rance cesse enfin d’être canalisée…
Avant de remonter son cours capricieux,
Inspectons du regard la majesté des lieux:
Beaumanoir, puis Evran, où sonne une volée.
C'est fini: maintenant il n'est plus de halage ;
Si nous ne voulons pas nous frayer un chelin ,
Botté, sanglé, casqué, carte et bâton en main.
Quittons les bords étroits pour le prochain village.
Rapide, elle a passé sur un fond presque lisse.
Dont l'herhier chevelu flotte au gré du courant.
Elle a creusé son lit dans un sol odorant.
Hon flot ne coule plus, mais il semble qu'il glisse.
Par Saint-André-des-Eaux , Caulnes, Jouan -de-l'Ile,
Lanrelas, Saint-Launeuc et le Château du Parc,
La Rance suit son cours en forme de grand arc.
Dans l'herbe, qui la fait paraître un long reptile.
Empruntant les bijoux de l' auguste Nature,
Bourgs et Châteaux coquets, bois sauvages et champs.
Monuments du passé, grandioses ou touchants,
Chefs-d'œuvres du vrai Dieu et de sa créature ,
Elle vient, en baignant le sol de Collinée,
Se perdre dans cet antre au non mystérieux,
Le Mené, légendaire et partant curieux.
On prend dans le lointain des airs de taupinée.
Puis, voici tout-à-coup la Fontaine-de-Rance,
Source au débit modeste , humble comme chez nous.
Nourrice qu'on pourrait encenser à genoux ,